De l’Extrême au Moyen-Orient : Ces travailleurs étrangers qui rebâtissent la région

De l’Extrême au Moyen-Orient : Ces travailleurs étrangers qui rebâtissent la région

Partir pour mieux revenir. Indiens, Philippins, Yéménites ou Éthiopiens : nombreux sont les travailleurs, originaires de pays précaires, à avoir suivi ce raisonnement. Mais partir pour aller où ? Enclavé entre l’Asie et l’Afrique, le Moyen-Orient est, depuis 1945, le principal pôle d’attraction de leur migration. Creuset des civilisations, ce vaste espace, qui s’étend de la Méditerranée orientale à l’Océan Indien, s’impose également comme un gigantesque chantier économique. Dans les années 1970, l’afflux des ouvriers asiatiques connaît un essor sans précédent. La diligence l’efficacité des agences de recrutement, soutenues par les sponsors locaux (kafils), facilitent arrivée et leur insertion, concurrençant les migrations en provenance des pays arabes, souvent organisées à titre individuel.

Crédit : israelvalley.com

En 1986, 97 % des travailleurs philippins identifiés ont émigré via des agences de recrutement, qu’elles soient privées ou gouvernementales. Malheureusement, le joyeux melting pot qu’aurait pu devenir le bassin méditerranéen n’en est pas un. Les travailleurs migrants sont fréquemment victimes d’exploitation et de mauvais traitements. Depuis la fin des années 1950, le système de “kafala” (parrainage), opérationnel en Irak et au Liban, pèse lourd sur les épaules de ces professionnels. Ce système confère aux parrains désignés par le gouvernement le droit de disposer du travailleur à leur guise, renforçant ainsi une forme d’asservissement moderne.

Pourtant, à l’instar d’autres enjeux critiques dans cette région complexe, les chaînes de ce système inégalitaire montrent des signes d’usure et finiront par se rompre. D’importants progrès ont déjà été réalisés dans plusieurs pays pour améliorer les conditions de vie des ouvriers étrangers. À force de réformes et de mesures préventives ou coercitives, les pays du Golfe s’échinent à instaurer des politiques plus respectueuses des droits de l’homme. Au Liban, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) et la fondation Walk Free ont récemment publié un rapport intitulé : “The Other Migrant Crisis: Protecting migrant workers against exploitation in the Middle East and North Africa”. Ce document, lancé à Beyrouth lors d’un dialogue régional intitulé “Bringing Innovation Forward: Combating Trafficking in Persons and Exploitation of Migrant Workers in MENA”, a été rendu possible grâce au soutien de l’Union européenne et au cofinancement du Ministère italien de l’Intérieur. Ces initiatives conjointe appellent les gouvernements à prendre des mesures concrètes pour protéger les migrants.

Un nouveau soleil se lève sur le bassin méditerranéen. Grâce aux avancées en termes de protection sociale et aux nouvelles opportunités professionnelles accompagnant un élan de solidarité des agences asiatiques envers les populations locales sinistrées par les années de guerre, les catastrophes climatiques et les ravages causés par les attaques terroristes, un équilibre prometteur s’esquisse et ouvre la voie à des collaborations durables. De l’Extrême au Moyen-Orient, la région démontre une capacité croissante à accueillir la diversité, se faisant ainsi de plus en plus élastique et propice à la mixité.

Quand la Ligue Arabe s’active à briser les chaînes d’un esclavage moderne : la fin de la kafala

Les progrès réalisés ces dernières années annoncent un avenir plus équitable et humain pour les travailleurs migrants. Dès 2009, les Émirats Arabes Unis ont adopté un système électronique de protection des salaires (WPS) pour remédier aux rapports fréquents de non-paiement des salaires, garantissant ainsi que les travailleurs soient rémunérés en temps voulu et dans leur intégralité. Toutes les entreprises employant 100 travailleurs ou plus, sont tenues de se conformer aux lignes directrices du WPS, sous peine d'une amende de 10 000 dirhams par travailleur concerné. En 2013, près de 3,6 millions de travailleurs recevaient ainsi leur salaire via le WPS, apportant une preuve électronique de leur paiement.

Outre la lutte contre la violence économique, celle contre la violence physique et psychologique figure également parmi les priorités. Les données alarmantes recueillies lors de l’élaboration du rapport “The Other Migrant Crisis: Protecting migrant workers against exploitation in the Middle East and North Africa” révèlent que parmi 162 victimes, 100 % ont subi le retrait de leur passeport, 87 % étaient confinées à leur lieu de travail, et 61 % ont été victimes de violence physiques. Ces chiffres ont conduit la Ligue Arabe à adopter, dès 2012, la résolution n° 879-27 avant même la publication finale du rapport, marquant un tournant dans la lutte contre la trait des êtres humains. Cette résolution clé s'est traduite par la mise en place de programmes de formation professionnelle visant à offrir aux victimes une nouvelle chance de reconstruire leur avenir, loin des souffrances passées. Lancé en 2014, le Business Training, conçu pour les victimes philippines au Liban, en est une illustration. Grâce à la collaboration de l’OIM et de l'Ambassade des Philippines, ces travailleurs ont bénéficié d'une formation en affaires, leur fournissant perspectives professionnelles solides comme tremplin pour leur réinsertion.

En parallèle, les réformes en cours du système de kafala dans certains pays de la région apportent un éclairage encourageant sur l’avenir des travailleurs migrants pour davantage de transparence et respect des droits de l’homme. L’impulsion donnée par l’ambassadrice suisse Monika Schmutz Kirgöz à Beyrouth, en collaboration avec la Direction du Développement et de la Coopération (DDC), illustre cet engagement. En instaurant des conditions de travail décentes pour les travailleurs migrants et réfugiés et en introduisant notamment un contrat standardisé pour les employés de maison, la DDC s’affirme comme un précieux allié. 

“No longer lost in Translation” : le rapprochement des travailleurs immigrés avec les populations locales

La dernière étape de la refonte d’un système socio-professionnel inique est de rétablir une véritable communication. La barrière subtile mais profonde du langage divise les êtres humains. L’échange, dans toutes ses dimensions est un levier indispensable pour surmonter les différence culturelles et tisser des liens entre des univers qui paraissent irréconciliables. Le mot “étranger” se transforme alors en “semblable”. Dans le cadre de la production du rapport “The Other Migrant Crisis” qu’on ne présente plus, des tables rondes organisées par la Jordanie et composées à la fois d’ONG et de membres de la délégation ministérielle ont justement mis en lumière une problématique cruciale : l’accueil réservé aux travailleurs migrants à leur arrivée dans le pays d’hôte. Bien souvent, ces derniers se heurtent à une réticence palpable due à la barrière de la langue.

Réceptif à ce point d’achoppement, Israël s’est avéré un pays précurseur pour rétablir le dialogue grâce à des programmes de formation ludiques et didactiques. Le projet “Shalom Namaste” illustre avec brio le succès d’un rapprochement social et professionnel entre les quelques 3 500 travailleurs indiens ayant immigré dans l’État hébreu et les Israéliens. Cette application, adoptée par la société Dynamic Staffing Services (DSS), enseigne l’hébreu tout en expliquant les règles de la culture locale.

Samir Khosla, patron de DSS, souligne que ces travailleurs vivent au cœur de la population locale, loin des ghettos ou camps de travail qui, dans d'autres pays du Golfe comme Oman ou Bahreïn, maintiennent les migrants dans des quartiers isolés. À Oman, par exemple, les camps de travail se concentrent à l’ouest de Mascate, entre Médinat Tabous et l’aéroport international de Seeb, tandis qu’au Bahreïn, les travailleurs étrangers sont souvent relégués sur l’île de Sitra, au sud de Manama. En Israël, la mixité fait foi : de nombreux employés indiens rapportent des interactions positives dans des lieux du quotidien, tels que dans les supermarchés, ou sur le front de mer (la tayelet).

Cette proximité croissante entre travailleurs étrangers et locaux va au-delà des simples interactions professionnelles. Elle donne naissance à un véritable sentiment de solidarité, particulièrement dans un contexte post-traumatique lié aux pogroms du 7 octobre. Dès le mois de novembre 2023, alors que les missiles pleuvaient quotidiennement sur Tel-Aviv, DSS a relevé le pari audacieux de déployer environ 16 000 travailleurs étrangers par an pour soutenir l’industrie de la construction. Malgré les défis, ces chantiers ont offert aux migrants une opportunité unique : celle de contribuer à rebâtir un pays tout en explorant une nouvelle culture. Les chantiers, temporairement suspendus, sont devenus le symbole d’un effort commun : tout est reconstruire, ensemble. Cette collaboration harmonieuse s’articule autour d’une philosophie simple mais puissante :

“Build better, build together”.

Sources :

The Other Migrant Crisis : Protecting Migrant Workers againt Exploitation in the Middle East and North Africa - 2015

Globes : Israel rivals India in regulation

IOM INT : les travailleurs migrants sont victimes d'exploitation et de mauvais traitements au Moyen Orient et en Afrique du Nord

Revue Persee : données sur les travailleurs migrants au Moyen Orient

Département fédéral des affaires étrangères DFAE : le système inégalitaire de la kafa

https://israelvalley.com/2024/02/02/10-000-travailleurs-indiens-se-rendront-bientot-en-israel/