L’Orient des Perles : le Golfe,  Berceau de l’Or Blanc

L’Orient des Perles : le Golfe, Berceau de l’Or Blanc

Discrète et élégante, la perle orne les atours des silhouettes les plus iconiques de la scène médiatique. De l’extravagant empereur Caligula qui aurait même fait décorer ses chevaux de perles, à la sublime Audrey Hepburn, dont le tour de cou multi-rangs vient parer la robe ébène signée Givenchy dans Diamants sur canapé, la perle est convoitée dans toutes les bijouteries. Ce joyau rivalise sans rougir avec les pierres précieuses les plus éclatantes, telles que le diamant ou l’émeraude. Mais d’où est extraite cette prunelle de l’élégance ? Depuis l’Antiquité, en empruntant les voies de la mer Rouge, de l’île de Ceylan jusqu’aux côtes de l’Afrique de l’Est, la route des perles dessine un collier encadrant le buste du Proche et du Moyen-Orient. Bien avant la découverte de l’or noir sur ses côtes, le port de Dubaï développe son économie grâce au commerce de ces perles précieuses. Il en va de même pour Manama et Oman. L’âge d’or de la perle du Golfe s’étend de 1870 à 1915. La nouvelle est alors évidente : la mer ouvre plus de portes que la terre.

Histoire et développement du commerce de la perle  fine dans le Golfe

Marqué par l’accélération des échanges liée à la mondialisation naissante, des 1870 à 1910, le  Golfe trace les contours des futures routes de la perle. Après 1880, conséquence de l’effondrement des pêcheries de Ceylan et de la mer Rouge, les perles du Golfe s’imposent sur la  scène internationale. La demande mondiale se fait de plus en plus pressante, et les sociétés  industrialisées occidentales, sensibles à l’esthétique et à la rareté, manifestent un intérêt croissant  pour ces joyaux marins. Le Golfe devient ainsi un espace-monde : marchands européens,  américains, indiens et arabes s’y croisent, alimentant un réseau commercial foisonnant.

Ce développement rapide fait du Golfe le théâtre d’une véritable ruée vers la perle, où les intérêts  économiques se doublent d’enjeux géopolitiques. L’Allemagne et la Grande-Bretagne s’affrontent  pour le contrôle du commerce, reflet des tensions internationales qui agitent la fin du XIXe siècle.  Dans ce contexte, la couronne britannique impose une législation maritime : des zones de pêche  sont délimitées, reconnues comme “appartenant de droit aux Arabes”, instaurant un embryon de  zone économique exclusive.

Par terre pieds elles sont dues les prisesQuand l’Orient habille l’Occident : exportation et  spécialisation portuaire

Les perles, une fois récoltées, sont exportées vers différents marchés. Certains ports arabes et  perses deviennent des plaques tournantes du commerce perlier. Le Bahreïn, avec Manama en  figure de proue, joue un rôle central dans la structuration de ce réseau. Sur la rive perse, Lingeh  s’illustre par sa spécialisation dans la commercialisation. Chaque région a ses préférences :  Bagdad préfère les perles petites et blanches, tandis que l’Inde privilégie les grosses perles aux  reflets complexes, achetées en grande quantité. En Europe occidentale, Londres et Hambourg se  distinguent comme marchés majeurs. La vogue du bouton de nacre, très appréciée dans la mode  romantique, stimule fortement la demande au XIXe siècle. Des sociétés comme Dumas, travaillant  pour les maisons Volart Brothers et Fuhrmaister Klose and Co., viennent même directement  négocier avec les cheikhs du Golfe.

Portrait de la Reine Victoria par Heinrich von Angeli (1899)

La perle traverse les cultures et les époques, habillant autant les souverains d’Orient que les  figures de la monarchie européenne. La Reine Victoria, peinte en 1899 à l’âge de 78 ans par  Heinrich von Angeli, arbore un imposant collier de perles tombant en cascade et un bracelet  assorti. Sobriété imposée par l’étiquette du deuil, où seul le noir et les perles sont tolérés, la  monarchie britannique adopte un code vestimentaire rigide. Ainsi, l’Orient perlier, dans toute sa  luxuriance, vient discrètement habiller les figures occidentales les plus codifiées.

La perle traverse les cultures et les époques, habillant autant les souverains d’Orient que les  figures de la monarchie européenne. La Reine Victoria, peinte en 1899 à l’âge de 78 ans par  Heinrich von Angeli, arbore un imposant collier de perles tombant en cascade et un bracelet  assorti. Sobriété imposée par l’étiquette du deuil, où seul le noir et les perles sont tolérés, la  monarchie britannique adopte un code vestimentaire rigide. Ainsi, l’Orient perlier, dans toute sa  luxuriance, vient discrètement habiller les figures occidentales les plus codifiées.

Pas de Quartier pour Cartier : perles de culture et  effondrement du marché de la perle fine

Mais cette prospérité n’est pas éternelle. La fin du XIXe siècle se solde par une succession de  crises naturelles : serpents de mer, crabes et parasites marins ravagent les bancs d’huîtres. Des  pluies anormalement abondantes déséquilibrent quant à elles l’écosystème. À cela s’ajoute une  pression internationale croissante sur les ressources perlières.

En 1916, deux Japonais déposent un brevet d’invention permettant de produire artificiellement  des perles parfaites. Dès 1928, les perles de culture inondent le marché. En 1930, le prix des  perles naturelles chute de 85 %. La maison Cartier, alors fortement dépendante de ce commerce,  est durement touchée. Pierre Cartier tente de réagir : dans sa boutique new-yorkaise, il expose un  collier estimé à 21 millions d’euros actuels, composé de deux rangs de perles parfaites. L’épouse  du magnat Maisie Plant l’échange contre un hôtel particulier situé sur la 5e Avenue. Le message  est clair : la perle demeure un bien d’exception. Pourtant, le collier sera revendu à un quart de sa  valeur 50 ans plus tard. L’héritage est là, mais le marché a changé.

Perles sur Canapé : le retour en force de la perle dans  les bijouteries contemporaines

En février 2022, Tiffany & Co. rend hommage à la perle naturelle lors d’une présentation à Doha.  Vingt-et-une pièces uniques, réalisées à partir de dessins de Jean Schlumberger, intègrent des  perles d’exception issues de la collection de la famille Al Fardan. Ce geste confirme la volonté du  joaillier américain d’établir un partenariat durable avec les fournisseurs du Golfe. En mars 2018,  Sotheby’s Paris mettait déjà à l’honneur un collier de seize perles fines exceptionnelles, estimé  entre 650 000 et 850 000 euros.

Aujourd’hui, le marché mondial des bijoux en perles est estimé à 11,81 milliards de dollars (2023),  avec une prévision de 31,92 milliards pour 2030. Le Moyen-Orient, et en particulier le Golfe, reste  un acteur clé du segment des perles naturelles haut de gamme. Le marché des montres et bijoux  de luxe dans le Golfe devrait passer de 114,5 à 188,4 millions USD entre 2024 et 2029. Aux  Émirats arabes unis, le segment montres et bijoux atteint déjà 3,12 milliards d’euros en 2025. La  tradition perlière y devient ainsi un véritable levier de croissance.

Transmission et avenir : l’étonnante bijouterie Mattar  au Bahreïn

À Bahreïn, la bijouterie Mattar, tenue par Faten Mattar, incarne la continuité de cette tradition.  Depuis 22 ans, elle perpétue le savoir-faire familial tout en adaptant ses collections aux goûts contemporains. Le centre Danat, laboratoire de gemmologie de pointe, mène parallèlement des  recherches sur les effets du changement climatique sur la production perlière. Température de  l’eau, pollution, acidification : autant de facteurs qui modifient la qualité et la quantité des perles.

Aujourd’hui, l’objectif affiché par les professionnels du secteur est le suivant : faire des perles  naturelles un objet de désir pour tous. Fascinantes par leur genèse naturelle, indomptables face à  la standardisation, les perles du Golfe reflètent un univers rare, où la beauté rime avec mystère et  tradition.

Sources :  

Cairn : A Golden Harvest: Exploitation and Globalisation of Pearls from the Arabian-Persian Gulf Le Point : Cartier, Tiffany... The Resurgence of the Fine Pearl’s Aura

Le Point : Cartier, Tiffany... L'aura retrouvée des perles fines

RTL : In the Gulf, Bahrain Revives Its 100% Natural Pearl Tradition

VMR (Verified Market Reports): Global Pearl Jewellery Market Size by Product Type (Necklaces, Earrings),  by Pearl Type

Statista : Luxury Watches & Jewelry - GCC

Vogue : The Centuries of Symbolism Wrapped Up in Royal Mourners' Pearls