Dessalement au Moyen-Orient : La ruée vers l’eau douce
Suivant les traces de la prophétesse, les nouveaux cerveaux de la région MENA - GCC (Moyen-Orient et Afrique du Nord - États du Golfe) continuent de chercher des solutions pour remédier aux pénuries d’eau. Le dessalement s’est imposé comme la solution privilégiée pour affronter la problématique du stress hydrique croissant, c’est-à-dire le déséquilibre entre la demande en eau et la quantité disponible. Aux Émirats arabes unis, 42 % des réserves d’eau potable proviennent de ce procédé innovant. Il en est de même pour 90 % au Koweït, 86 % à Oman et 70 % en Arabie saoudite.
Précurseurs dans ce domaine, les scientifiques du Golfe assistent aujourd’hui à un véritable boom des industries de dessalement. En 2025, les Nations unies rapportent que deux tiers de la population mondiale seront concernés par ce défi crucial. On dénombre actuellement plus de 21 000 stations de dessalement d’eau de mer dans le monde, soit presque deux fois plus qu’il y a une décennie.
L’amertume ne résonne plus seulement autour des pays du Golfe. Elle atteint désormais les rives de l’Extrême-Orient, de l’Amérique et de l’Europe. L’Espagne est devenue le quatrième dessaleur mondial avec plus de 900 installations. Pour la seule année 2020, 35 usines de dessalement ont été annoncées en Chine et sur la côte Ouest des États-Unis. En conséquence, les capacités de dessalement des pays du Moyen-Orient devraient elles aussi doubler d’ici cinq ans, dans le cadre de plans quinquennaux annoncés pour l’ère post-pétrole. Des projets d’envergure sont en cours en Afrique du Nord, y compris dans des pays jusqu’alors dotés d’eau potable en quantité suffisante comme le Maroc ou l’Algérie.
Les acteurs industriels engagés dans ces opérations sont nombreux et de tailles diverses. Depuis plus de dix ans, Engie et Veolia constituent la figure de proue du marché français. Récemment, la fusion de Veolia avec le groupe Suez a élargi le champ des possibilités sur le continent américain ainsi qu’au Moyen-Orient, où son empreinte est déjà marquée. Le champion israélien du dessalement, IDE Technologies, n’est quant à lui pas en reste. Quels nouveaux défis, solutions et projets se dessinent pour adoucir le sol et les relations multilatérales, afin de créer de meilleures synergies ?
Défis : Rompre le Cycle Infernal de la Saumure et des Émissions Carbone
Leader dans le domaine du dessalement, la région MENA se heurte néanmoins à un schéma sisyphéen : pour chaque litre d’eau douce produit, 1,5 litre de “saumure” chargée de produits chimiques est rejeté dans la mer. En l’occurrence, les méthodes de dessalement actuelles participent à l’augmentation de la température des océans. Bien qu’elle produise environ 48 % de l’eau dessalée à l’échelle mondiale, la zone du croissant fertile a sa part de responsabilité dans le rejet de saumure. Environ 55 % des rejets de saumure à l’échelle mondiale proviendraient de seulement quatre pays : l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, le Koweït et le Qatar.
Autre versant de cette innovation technologique, qui permet au Golfe de survivre depuis des siècles : dessaler l’eau de mer demeure un procédé coûteux et énergivore. Sans modèle alternatif adopté d’ici là, les usines de Riyad et d’Abu Dhabi devraient consommer quotidiennement l’équivalent de l’énergie produite par une à deux centrales nucléaires à l’horizon 2030. Le défi régional consiste donc à changer le mode d’approvisionnement des usines alimentées au gaz ou au charbon et à opter pour des énergies bas-carbone.
Osmosun : la PME française soutenue par Abu Dhabi qui met son grain de sel vers la sobriété énergétique
L’institut Masdar d’Abu Dhabi veille à développer de nouveaux modèles de dessalement, de façon ludique et stimulante. En janvier 2016, à l’occasion de l’International Water Summit (IWS), l’université émirienne dédiée aux sciences et au progrès technologique a organisé un concours d’innovation sur le vaste thème des problématiques hydriques dans la région.
Contre toute attente, c’est une PME française, originaire de Chartres, qui a retenu l’attention du jury. Osmosun (nouveau label de “Mascara”) a brillé par sa technologie de dessalement photovoltaïque inédite. Fins connaisseurs de l’Afrique, pour y avoir longtemps exercé professionnellement, Maxime Haudebourg et Marc Vergnet avaient pour objectif de prioriser et d’élargir ce périmètre afin d’y apporter une solution la plus autonome possible.
L’institut ne s’est pas contenté de décerner le premier prix à cette innovation spectaculaire, mais a également financé tous les travaux de caractérisation de leur machine. Grâce à ce tremplin, Osmosun a crû rapidement. Utilisée au Sénégal, en Afrique du Sud et en Mauritanie, cette technologie de pointe a fait son chemin, jusqu’à entrer en Bourse en juillet dernier.
Une Révolution du Dessalement ?
Aujourd’hui, les capacités de production, les coûts opérationnels, la consommation d’électricité et la durée de vie des installations sont devenus des critères déterminants pour remporter les appels d’offres dans l’industrie du dessalement. La prise de conscience des effets du changement climatique dans la région MENA accélère le développement de ces capacités, qui représentent un marché potentiel de 97 milliards de dollars entre 2024 et 2028. Ce secteur en pleine expansion fait désormais partie intégrante du bouquet de solutions indispensables pour faire face à la raréfaction de l’eau.
Acteur clé du secteur, Veolia poursuit son accélération au Moyen-Orient avec l’ambition de faire croître son chiffre d’affaires régional de 50 % d’ici 2030. Présent depuis cinquante ans dans la région, le groupe français a généré 1,1 milliard d’euros de revenus en 2023, grâce à ses trois métiers historiques : l’eau, l’énergie et les déchets. Pour consolider sa première place dans le bassin des technologies de l’eau, Veolia mise sur son plan stratégique GreenUp 2024-2027.
L’entreprise ambitionne de fournir ses services à des sites emblématiques dans la région, notamment l’usine d’Hassyan – la plus économe en énergie et la deuxième plus grande au monde – ainsi que celles de Hamriyah et de Mirfa 2 aux Émirats arabes unis, de Sur à Oman, et de Sadara Marafiq en Arabie saoudite. En parallèle, Veolia a signé un partenariat stratégique avec Saudi Investment Recycling Company (SIRC), une entreprise détenue par le fonds saoudien d’investissement public. Ce partenariat vise à développer un champion national et régional du traitement des déchets organiques et industriels d’ici 2027.
Israël ne reste pas en marge de cette révolution. Le 26 juin 2023, la Banque européenne d’investissement a accordé 150 millions d’euros pour financer un projet de dessalement en Galilée occidentale. Cette nouvelle installation permettra à Israël d’atteindre une couverture de 85% de ses besoins en eau potable par le dessalement. Baptisé Birkat Miriam, en hommage à la fameuse prêtresse, ce projet marque un tournant dans l’aménagement hydraulique israélien, puisqu’il s’agit de la première usine de dessalement construite dans le nord du pays.
La Banque européenne d’investissement avait déjà soutenu quatre installations de dessalement à grande échelle en Israël, ainsi que des projets novateurs en Jordanie et à Djibouti. À travers ces initiatives, c’est un nouveau paradigme qui se dessine : celui d’une eau accessible et maîtrisée dans une région qui a soif d’innovation.
Sources :
Carep Paris : Une cartographie de la course au dessalement dans le monde arabe
Ifri : Géopolitique du dessalement d'eau de mer
Radio France : La mer à boire des usines de dessalement
Radio France : Osmosun - dessaler l'eau de mer avec l'énergie solaire
Véolie : communiqué de presse du 2 décembre 2024