Histoire du Conseil en Arabie saoudite : Vision, Transformation et Nouvelle Frontière Économique

Histoire du Conseil en Arabie saoudite : Vision, Transformation et Nouvelle Frontière Économique

Le secteur du conseil en Arabie saoudite connaît une mutation sans précédent, à l’image de la transformation économique et sociétale ambitieuse qui traverse le Royaume. Autrefois un marché de niche, largement tributaire des fluctuations des revenus pétroliers, il s’est mué en une industrie dynamique et de plus en plus sophistiquée. Premier marché du conseil dans le Golfe, l’Arabie saoudite a généré 4,3 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2024, soit une croissance de 14,1 %, et devrait encore progresser de 13 % en 2025, malgré un ralentissement attendu dans certains segments, notamment le secteur public. Cette évolution ne résulte pas simplement d’une hausse des dépenses publiques, mais bien d’une stratégie de transformation top-down, visant à diversifier l’économie, moderniser les fonctions de l’État et stimuler un secteur privé robuste.

Par Mostafa Ali & Salomé Nabeth

Du tout-pétrole à la diversification : genèse d’un secteur stratégique

Historiquement, le marché du conseil en Arabie saoudite a été façonné par une forte dépendance à la rente pétrolière. Sous le règne du roi Abdallah, les services de conseil, à l’instar de l’économie dans son ensemble, étaient corrélés aux prix du baril. L’État, à la fois régulateur et principal donneur d’ordre, injectait massivement dans les infrastructures, les technologies et les prestations intellectuelles durant les phases d’abondance, pour resserrer les cordons de la bourse en période de baisse des prix du brut. Ce cycle instable rendait toute trajectoire de croissance pérenne difficile pour les cabinets de conseil.

Au-delà de la volatilité, cette manne pétrolière a généré une forme de “maladie hollandaise” : les revenus aisés issus des ressources naturelles ont affaibli la pression en faveur d’une diversification économique et d’une montée en compétences internes. Les capacités de planification stratégique et d’exécution, au sein même de l’appareil d’État, sont longtemps restées sous-développées. Résultat : pour les besoins complexes, le réflexe était de se tourner vers l’expertise étrangère. Une dépendance structurelle s’est installée, alimentant un cercle vicieux où les capacités locales restaient peu sollicitées — donc peu renforcées.

Avant 2015, les cabinets saoudiens peinaient à s’imposer. Faiblement digitalisés, dotés de structures opérationnelles modestes, ils étaient peu armés pour rivaliser avec les grands noms du secteur. Leur croissance était freinée par la cyclicité des investissements publics. Contrairement aux acteurs globaux, capables d’absorber les chocs grâce à leur présence mondiale, les cabinets locaux restaient fragiles, sous-capitalisés et peu attractifs pour les investisseurs. En 2015, moins de 5 % des cabinets opérant dans le Royaume étaient d’ailleurs détenus localement.

Pourtant, des changements profonds se dessinaient en coulisses. Le programme de bourses du roi Abdallah (KASP) avait envoyé des milliers de jeunes Saoudiens se former à l’international. Ces talents, formés aux meilleures pratiques managériales et exposés à des modèles économiques diversifiés, allaient constituer une réserve stratégique. À leur retour, ils ont insufflé une culture nouvelle au sein des institutions publiques et du secteur privé, et alimenté la montée en puissance de cabinets locaux. Leur double lecture — expertise mondiale, compréhension fine du terrain local — allait devenir un atout décisif.

Vision 2030 : catalyseur de la demande en conseil

Le véritable tournant est intervenu avec Vision 2030. Lancée en 2016 sous l’impulsion du prince héritier Mohammed ben Salmane, cette stratégie nationale de long terme marque une rupture radicale avec le passé rentier. Elle vise à transformer le Royaume en une économie diversifiée, compétitive et tournée vers l’innovation, avec un objectif clair : faire passer la part du privé dans le PIB de 40 % à 65 % d’ici 2030. Ce saut qualitatif, par son ampleur et sa complexité, a généré une explosion de la demande en prestations de conseil : stratégie, transformation organisationnelle, gouvernance, innovation, digitalisation...

Le Royaume est devenu l’un des plus gros clients au monde pour les cabinets de conseil. Rien qu’en 2023, les dépenses dans ce domaine ont bondi de 17,5 %, frôlant les 2 milliards d’euros. Ce n’est plus une demande cyclique, réactive, dictée par les cours du brut, mais une dynamique structurelle. Le marché du conseil saoudien a ainsi progressé de 38 % en 2022, 25 % en 2023, et devrait continuer à deux chiffres au moins jusqu’en 2025.

Au cœur de cette transformation : le fonds souverain saoudien (PIF), atout phare de la Vision 2030. Fort de plus de 930 milliards de dollars d’actifs sous gestion début 2025, il injecte des capitaux dans des secteurs inexplorés — tourisme, culture, sport, divertissement, santé — et pilote des projets pharaoniques : NEOM (ville futuriste à 500 milliards de dollars), Red Sea Global, Qiddiya, Roshn, Diriyah... Chacun de ces “giga-projets” crée un écosystème complet, générant de la demande à tous les niveaux : stratégie initiale, ingénierie financière, planification urbaine, marketing territorial, développement durable, gestion de la performance...

Le rôle du PIF dépasse celui d’un investisseur : c’est un architecte de transformation systémique. Il façonne des filières entières, catalyse des chaînes de valeur locales, et attire à lui un tissu d’acteurs : start-ups, industriels, opérateurs de services, autorités réglementaires. Sa politique de “local content” — 60 % de contenu local d’ici 2025 — renforce encore les besoins en conseil localisé, adapté aux réalités du Royaume.

Parallèlement, la structuration de la machine publique s’est accélérée. Les “Vision Realization Offices” (VROs), cellules de pilotage installées dans chaque ministère, assurent un suivi fin des réformes. Les cabinets de conseil sont désormais embarqués dans des missions longues, imbriquées dans l’administration, pour accompagner l’implémentation, la montée en compétences et la gouvernance des transformations. L’objectif est clair : éviter les effets d’annonce sans lendemain et ancrer une logique de résultats.

Vers une maturité stratégique du marché

La diversification des secteurs crée des besoins toujours plus variés : tourisme (au-delà du pèlerinage), sport (la Coupe du monde 2034), culture (festivals, musées), environnement (énergies vertes, restauration des écosystèmes), infrastructures intelligentes... Chaque pan de cette mutation ouvre un terrain d’intervention pour les consultants : études de marché, stratégie d’entrée, design organisationnel, architecture IT, accompagnement au changement...

Un effort colossal est également déployé sur le front de la durabilité : plus de 266 milliards de dollars sont alloués à la transition écologique, avec l’objectif que 50 % de la production d’électricité provienne des renouvelables d’ici 2030. Les missions de conseil dans le green, la finance durable, l’économie circulaire explosent.

Un moteur clé de cette montée en puissance de la demande en conseil réside dans “l’impératif de mise en œuvre” inscrit au cœur de Vision 2030. Cette vision stratégique ne se limite pas à un catalogue d’objectifs ambitieux ; elle s’accompagne de calendriers serrés et d’une exigence constante en matière d’exécution concrète. Avant cette phase de transformation, l’État saoudien gérait certes un portefeuille massif d’initiatives, mais sans véritable dispositif de pilotage des résultats.

Ce déficit a été comblé par la création d’unités dédiées à la gouvernance des transformations, en particulier les Vision Realization Offices (VROs), implantés au sein de chaque ministère. L’exemple du VRO du ministère de la Santé, chargé du pilotage de la stratégie de transformation du système de soins, illustre parfaitement ce tournant. À cela s’ajoute l’émergence de structures spécialisées — PMO (Project Management Office), TMO (Transformation Management Office) — qui renforcent la capacité des institutions à piloter, mesurer et corriger leurs trajectoires de transformation.

Les études menées auprès des administrations et entreprises publiques montrent que près de 60% des programmes de transformation se concentrent aujourd’hui sur l’optimisation interne, notamment l’amélioration des processus métier (22 %) et l’adoption des technologies et outils digitaux (20 %). Objectif : aligner les performances des organisations publiques sur les standards internationaux, tout en répondant aux KPI nationaux définis par Vision 2030.

Ce contexte historique met en lumière le besoin crucial de cabinets capables d’aller au-delà du simple conseil stratégique. Il s’agit désormais d’intervenir comme partenaires opérationnels : gestion de projets complexes, montée en compétence des équipes internes, accompagnement à l’implémentation sur le terrain. Résultat : les missions deviennent plus longues, plus intégrées, et axées sur la génération de résultats tangibles.

Le tableau ci-dessous synthétise les grands moteurs économiques de Vision 2030 ainsi que les

types de besoins en conseil qu’ils génèrent :

Tableau 1 : Principaux moteurs économiques de Vision 2030 et besoins associés en conseil en Arabie saoudite

Digitalisation et Modernisation Financière : L’Émergence de Niches de Conseil Inédites en Arabie Saoudite

Parallèlement aux vastes efforts de diversification économique inscrits dans le cadre de la Vision 2030, des initiatives gouvernementales ciblées en matière de digitalisation et de réforme du secteur financier se sont imposées comme des catalyseurs puissants, façonnant de nouveaux marchés spécialisés pour les services de conseil. Ces réformes ne se limitent pas à des améliorations administratives internes : elles redéfinissent profondément le mode de fonctionnement des administrations publiques et du secteur privé, créant ainsi des besoins de conseil spécifiques, souvent urgents.

Le marché des services de conseil en transformation digitale en Arabie Saoudite a été évalué à 1,4 milliard de dollars en 2023, avec une croissance annuelle composée (CAGR) prévue de 23,5 % jusqu’en 2029. Plus largement, le marché de la transformation digitale devrait atteindre près de 70 milliards de dollars d’ici 2030, avec un CAGR de 30,9 % à partir de 2025.

Un pilier central de cette modernisation est la digitalisation des processus gouvernementaux, identifiée comme une étape clé dans l’agenda de transformation du Royaume. Exemple emblématique : Etimad, la plateforme unifiée des achats publics du ministère des Finances, qui a rationalisé appels d’offres, contrats et paiements. Cette plateforme vise à accroître la transparence des marchés publics, optimiser l’efficacité des dépenses et favoriser la participation des PME. En 2025, Etimad avait traité plus de 32 millions de transactions avec un taux de digitalisation de 96 % et un taux de satisfaction utilisateur de 85 %. Au-delà de l’efficacité, cette initiative a forcé administrations et acteurs privés à adopter des workflows standardisés et transparents.

La généralisation obligatoire à ces plateformes digitales a généré une demande immédiate et massive de services de conseil : refonte des processus métier (business process reengineering), choix et mise en œuvre de technologies (cloud, data analytics, cybersécurité, intelligence artificielle), gestion du changement, et formation intensive des équipes publiques et privées. Cette impulsion gouvernementale a ainsi servi de moteur puissant pour la transformation digitale, imposant transparence, standardisation et efficacité dans le secteur public et dans ses interactions avec les entreprises privées, qui ont elles-mêmes dû adapter leurs systèmes internes, créant ainsi un marché supplémentaire de conseil.

Parallèlement, la Banque Centrale Saoudienne (SAMA) a modernisé l’écosystème financier via des plateformes telles que eSAMA et le Open Banking Lab. Lancé en novembre 2022, le cadre réglementaire de l’open banking de SAMA, suivi par l’ouverture du laboratoire dédié en janvier 2023, s’est concentré sur les services d’initiation de paiement (PIS) à partir de début 2024. Ces initiatives ont profondément modernisé le secteur et ouvert un espace nouveau pour les cabinets de conseil, qui accompagnent désormais le développement des fintechs, la conformité réglementaire et la stratégie.

L’open banking permet aux prestataires tiers d’accéder aux données financières avec le consentement des clients, facilitant la création de solutions innovantes, comme des produits financiers personnalisés ou des systèmes de paiement fluides. Le développement d’applications fintech telles que Tarabut Gateway, Drahim.sa ou Spare illustre parfaitement cette dynamique, grâce à l’utilisation des APIs d’open banking. Ces mesures de politique publique proactives ont donc directement nourri des niches de conseil à forte valeur ajoutée. Ces évolutions sont aussi au cœur des ambitions de diversification économique, car un système financier moderne, agile et ouvert est indispensable pour soutenir la croissance des nouveaux secteurs, notamment fintech, PME et startups innovantes.

La transformation digitale s’est également traduite par une refonte radicale des processus budgétaires gouvernementaux. Jusqu’en 2017, les agences géraient leurs budgets avec des tableurs et archives papier. Désormais, plus de 220 entités doivent soumettre des budgets digitalisés chaque année avant octobre, une révolution qui nécessite formation, coordination et déploiement rapides. Ce changement profond et massif génère une forte demande à court et moyen terme pour des consultants capables de gérer des projets complexes sous forte contrainte temporelle, souvent en mode « gestion de crise ». La réussite de cette digitalisation dépend largement de la mobilisation rapide de ces expertises pointues. Le secteur de la santé illustre aussi cet élan, avec près de 15 milliards de dollars investis dans les infrastructures TIC depuis la création d’une Unité nationale de transformation digitale, mettant l’accent sur la télémédecine, les dossiers médicaux électroniques (DME) et l’intelligence artificielle pour améliorer efficacité et accessibilité.

L’Ascension de l’Expertise Locale : Un Nouveau Visage de la Concurrence

À mesure que l’économie saoudienne mûrit et que ses priorités stratégiques se précisent sous Vision 2030, le paysage concurrentiel du conseil a connu un réalignement profond. La domination historique des cabinets internationaux a été mise à l’épreuve, tandis que les firmes locales, souvent dirigées par des professionnels saoudiens formés à l’étranger et dotés d’une compréhension fine du contexte national, montent en puissance.

En 2022, les acteurs étrangers détenaient encore quasi-monopole sur le marché. Les géants globaux comme Accenture, PwC, McKinsey, BCG, Deloitte et EY dominaient, mais les limites de cette hégémonie sont rapidement apparues. Parmi les principaux obstacles : décalages culturels, coûts élevés et stratégies importées mal adaptées aux réalités locales, conduisant à des résultats décevants, des conseils parfois superficiels et même des pratiques de « consulting copier-coller » réutilisant des livrables destinés à d’autres pays. Sur le plan économique, les différences de coûts étaient criantes : un consultant de niveau directeur facturé jusqu’à 250 000 SAR par mois chez les firmes internationales, contre des tarifs bien plus accessibles chez les talents locaux capables de résultats équivalents.

Ces écarts, conjugués à une demande croissante pour des solutions contextualisées, ont érodé la domination des multinationales. La suspension pendant un an de PwC des missions pour le Fonds d’Investissement Public (PIF) en 2025 (non expliquée publiquement) témoigne d’un contrôle accru et d’une exigence renforcée de retour sur investissement. Des enjeux de souveraineté des données, avec des réglementations plus strictes, sont également entrés en jeu.

Dans ce contexte, les cabinets locaux ont pris leur place. Nombre d’entre eux sont portés par des professionnels disposant d’expériences internationales, notamment dans la défense, la santé et la transformation publique. Cette montée locale incarne une alternative crédible, combinant méthodologies internationales avec une intelligence contextuelle propre au Royaume, ce que les clients valorisent désormais davantage que des cadres génériques peu flexibles. Il ne s’agit pas simplement d’une offre moins chère, mais d’une redéfinition de la proposition de valeur, centrée sur la gestion de projets et la conformité culturelle et réglementaire saoudienne.

Les investissements antérieurs dans le capital humain, via des programmes de bourses tels que ceux du roi Abdallah, portent leurs fruits : de nombreux Saoudiens formés à l’étranger ne reviennent pas seulement comme salariés, mais comme fondateurs et leaders de ces firmes locales. Ils apportent crédibilité, réseaux internationaux, compétences modernes et une ambition forte pour contribuer au développement national. Ces firmes réduisent la dépendance au talent importé et favorisent la croissance d’une industrie locale des services professionnels. Les politiques de « Saudisation » imposent des quotas (40 % dans le conseil, 35 % en ingénierie, 30 % en conseil financier) afin de créer plus de 8 000 emplois qualifiés et retenir 1,2 milliard de dollars annuellement dans l’économie.

Ce mouvement s’accompagne aussi de la montée de firmes spécialisées. Par exemple, Siena est devenue un acteur clé dans la région MENA pour l’ingénierie de sécurité incendie, garantissant que les nouvelles infrastructures respectent les normes internationales dans un contexte d’urbanisation rapide. De même, Jadarah Business Consulting se distingue dans la stratégie de décarbonation, accompagnant notamment la Saudi Investment Recycling Company (SIRC). Au stade initial de développement d’un marché, la demande porte souvent sur du conseil généraliste, mais avec la complexification économique et la création de secteurs réglementés, la demande se segmente et s’affine, favorisant des experts techniques très pointus.

Les initiatives gouvernementales comme celles de l’Autorité des Contenus Locaux et des Marchés Publics (LCGPA) encouragent cette tendance, avec la promotion du label « Made in Saudi » et des objectifs ambitieux de contenu local, tels que la politique Musaama du PIF visant 60 % de contenu local d’ici 2025. L’autorité Monsha’at, dédiée aux PME, offre quant à elle un accompagnement, incluant du conseil à distance en finance, technologie et droit. Le programme d’Aramco IKTVA joue également un rôle moteur dans l’efficacité des chaînes d’approvisionnement et la diversification du secteur énergétique, avec un objectif de retenir 70 % des dépenses d’achat au niveau national, tout en soutenant particulièrement les PME.

Dynamiques de Marché et Perspectives : Saisir les Opportunités d’un Royaume en Mutation

Le marché saoudien du conseil affiche une croissance robuste, portée par la dynamique Vision 2030 et l’engagement national vers la diversification et la modernisation. En 2024, il atteint 4,3 milliards de dollars et devrait progresser de 13 % en 2025, ce qui en fait le plus grand et le plus dynamique du Golfe, même si la croissance se modère par rapport à l’explosion post-Covid.

La demande de conseil reste forte, surtout dans des secteurs phares de la Vision 2030 : urbanisme, divertissement, réhabilitation environnementale. À cela s’ajoutent les besoins accrus dans les infrastructures, la préparation d’événements internationaux majeurs (Coupe du Monde 2034, Coupe d’Asie 2027), le développement touristique, l’écosystème sportif et la transformation digitale à grande échelle. Le marché du conseil en transformation digitale, rappelons-le, devrait croître de 23,5 % par an jusqu’en 2029. Par ailleurs, la montée des enjeux ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance) alimente la demande de conseil alors que le Royaume vise la neutralité carbone en 2060 avec des initiatives telles que la Saudi Green Initiative. Le secteur santé s’enrichit aussi, avec une croissance liée à la privatisation (objectif 35% du privé d’ici 2030), des avancées en santé digitale (plus de 1,5 milliard de dollars investis) et la réforme réglementaire via le Programme de Transformation du Secteur de la Santé. Le secteur éducatif connaît aussi un intérêt marqué des grands cabinets internationaux comme BCG, mais aussi de spécialistes locaux comme Emkan Education ou Jadarah.

Cette demande recouvre toute la chaîne de valeur du conseil, du conseil stratégique à la gestion de projets complexes, en passant par des expertises techniques et du support opérationnel.

Parallèlement à la montée des firmes locales, l’Arabie Saoudite soutient activement l’arrivée d’acteurs étrangers, mais de manière très sélective. La réglementation et les procédures d’entrée restent complexes, ce qui a conduit à la mise en place de mesures d’accompagnement sur le terrain. Le programme des sièges régionaux (RHQ), lancé en 2021, encourage les multinationales à installer leur siège régional au Royaume, condition pour participer aux appels d’offres publics dès 2024. Cette stratégie vise à attirer des acteurs de haute qualité, alignés sur les priorités nationales et générant une valeur durable dans leurs partenariats.

Il ne s’agit pas d’exclure les cabinets internationaux, mais d’instaurer un modèle de « coopétition» (coopération + compétition). Ces derniers, porteurs de connaissances globales spécialisées, de technologies propriétaires ou capables de gérer des mégaprojets colossaux, auront encore des opportunités. Cependant, ils devront s’adapter : partenariats avec des acteurs locaux, transfert réel de compétences et contribution visible au développement des talents saoudiens sont désormais des exigences incontournables. Le gouvernement privilégie les engagements durables plutôt que la dépendance aux prestataires étrangers. Les clients deviennent aussi plus exigeants sur le rapport qualité/prix, les résultats concrets et l’efficacité, ce qui tend à serrer les marges, surtout sur les gros contrats publics.

Au-delà des infrastructures physiques et de la création de nouvelles industries, la transformation numérique et la modernisation financière ouvrent des niches d’opportunités uniques. Le conseil en intégration de plateformes digitales gouvernementales, la conformité réglementaire en open banking, la gestion agile des projets budgétaires digitalisés, les services d’accompagnement des PME dans la transition numérique et financière : autant de segments spécifiques à forte croissance, qui exigent des compétences techniques et une parfaite compréhension du cadre institutionnel.

Au-delà des infrastructures physiques et de la création de nouvelles industries, les services de conseil jouent un rôle croissant dans le développement de « l’infrastructure immatérielle » du Royaume. Celle-ci comprend la mise en place et l’amélioration des cadres réglementaires, le renforcement des capacités institutionnelles des administrations, le développement des écosystèmes de talents, ainsi que la stimulation des pôles d’innovation. La nécessité, désormais documentée, de gérer efficacement des portefeuilles complexes d’initiatives, de suivre rigoureusement les résultats et de déployer des systèmes sophistiqués, tels que la budgétisation digitale à l’échelle de centaines d’entités, illustre la construction progressive de cette « musculature » institutionnelle indispensable.

Parmi les initiatives emblématiques, le Programme Career Essentials de la Fondation Misk a déjà bénéficié à plus de 700 000 jeunes Saoudiens, en les préparant au marché du travail grâce à l’acquisition de compétences comportementales clés (soft skills) et à un accompagnement de carrière. Ses programmes complémentaires en leadership et entrepreneuriat contribuent à la formation d’un vivier de talents capable de soutenir les ambitions économiques du Royaume. Le Fonds de Développement des Ressources Humaines (HRDF) joue également un rôle essentiel, en finançant la formation, les programmes d’emploi et en accordant des prêts aux institutions de formation.

Dans ce contexte, les consultants se positionnent souvent comme des catalyseurs, des renforts temporaires de capacité et des facilitateurs de processus complexes de gestion du changement, apportant leur savoir-faire pour accélérer la transformation.

Le rôle du gouvernement saoudien lui-même évolue profondément. S’il reste un client majeur, souvent le plus important pour les services de conseil, sa fonction s’étend désormais à celle d’architecte stratégique du marché du conseil. Par des politiques d’achat favorisant le contenu local — comme la réglementation de la LCGPA qui privilégie les personnes, établissements et produits saoudiens —, par un soutien ciblé aux PME (dont beaucoup d’entreprises locales émergentes via Monsha’at et le programme IKTVA), ainsi que par des exigences claires imposées aux cabinets étrangers quant à leur alignement avec les priorités nationales et l’intégration de valeur locale, l’État façonne activement un écosystème de conseil au service de ses intérêts à long terme.

Cette posture reflète une approche plus sophistiquée, parfois interventionniste, du développement du marché, visant à garantir que les milliards dépensés dans les prestations de conseil génèrent un maximum de retombées économiques et sociales pour le Royaume.

Une Nouvelle Ère pour le Conseil au Royaume

Le secteur du conseil en Arabie Saoudite a connu une trajectoire remarquable, passant d’un service périphérique, lié à la fortune pétrolière, à un levier central de la réinvention nationale ambitieuse. L’impulsion donnée par la Vision 2030, conjuguée à d’importants investissements portés par le Fonds d’Investissement Public (PIF) et une volonté gouvernementale forte de digitalisation et de modernisation, a profondément remodelé la demande, créant un marché de plusieurs milliards de dollars, à la fois volumineux et de plus en plus sophistiqué, qui devrait dépasser 4,8 milliards de dollars en 2025.

Les transformations économiques majeures, incluant la diversification stratégique hors hydrocarbures, la digitalisation des fonctions étatiques incarnée par des plateformes comme Etimad et la modernisation budgétaire, ainsi que la réforme du secteur financier à travers les initiatives d’Open Banking de la SAMA, ont non seulement élargi la palette des besoins en conseil, mais ont aussi creusé la demande d’expertises pointues. Cela a entraîné une croissance dans des domaines allant de la planification stratégique et l’appui aux bureaux de gestion de projets (PMO) pour les mégaprojets comme NEOM, jusqu’aux conseils spécialisés dans la fintech, la cybersécurité, la stratégie ESG (environnement, social et gouvernance) et la conformité réglementaire. Le marché mûrit, les clients deviennent plus sensibles aux coûts et exigent des résultats mesurables.

Une caractéristique clé de cette nouvelle ère est l’émergence assurée des cabinets locaux. Soutenus par une génération croissante de professionnels saoudiens formés et expérimentés à l’international — héritage en partie des bourses King Abdullah — et encouragés par les politiques de Saudisation et les initiatives de contenu local, ces cabinets rivalisent désormais sur la valeur, offrant une compréhension contextuelle fine et un rapport qualité-prix compétitif, défiant ainsi la suprématie traditionnelle des grands groupes mondiaux. L’essor d’entités spécialisées comme Siena et Jadarah témoigne également de la maturité du marché.

À l’avenir, le marché du conseil en Arabie Saoudite devrait poursuivre son expansion soutenue, même si la concurrence évoluera. Le rôle du gouvernement restera déterminant, non seulement comme client principal, mais aussi comme architecte stratégique du secteur, favorisant les partenariats qui intègrent une valeur durable, encouragent le transfert de connaissances et s’alignent sur les priorités nationales. Pour les acteurs locaux comme internationaux, la réussite dépendra de leur capacité à produire des résultats tangibles, à cultiver les talents locaux via des programmes comme ceux de la Fondation Misk et du HRDF, et à naviguer dans un écosystème où la connaissance sectorielle approfondie, la spécialisation et la compréhension du parcours unique de transformation du Royaume seront primordiales.

L’histoire du conseil en Arabie Saoudite dépasse désormais le simple rôle de fournisseur de recommandations : il s’agit d’être un acteur actif dans la construction d’une nouvelle frontière économique, avec un niveau accru d’exigence en matière de responsabilité, d’impact local et de partenariat véritable.

Sources :

Entretien avec Mostafa Ali, expert en stratégie, développement et exécution

Membre du comité d’exécution de la Vision 2030