House of One

House of One

« Pour connaître l’autre, il ne faut pas se l’annexer mais devenir son hôte. » Cette conviction défendue par Louis Massignon, islamologue catholique français du début du XXe siècle, résonne parfaitement avec l’ambition de « The House of One », un projet qui compte réunir sous un même toit d’ici 2025 chrétiens, juifs et musulmans à Berlin.

À Berlin, un lieu pour trois cultes : l’unité dans le respect de l’altérité

Shalom, salam, paix

Lancé il y a plus de dix ans, ce projet de construction d’un bâtiment rassemblant un temple, une synagogue et une mosquée ainsi qu’un quatrième espace dédié au dialogue interreligieux, est né, non pas sous l'égide de grandes institutions, d'associations ou de conseils centraux, mais sous celle de trois représentants de communautés religieuses : le pasteur Gregor Hohberg, le rabbin Andreas Nachama et l’imam Kadir Sanci. Centre de prière et d’enseignement interreligieux, « House of One » entend être un lieu de rencontre et de dialogue, ouvert aux croyants de toutes les religions ainsi qu’aux non-croyants. Roland Stolte, théologien chrétien et président du conseil d'administration de « House of One » affirme : « Juifs, chrétiens et musulmans ont planifié ensemble un lieu d’entente, une maison de paix, où chacun apporte le plus beau et le plus sublime de sa tradition religieuse. Et ça donne ce petit miracle ! » Pourles musulmans, ils’agira de la première mosquée construite dansle centre de Berlin. L’imam Kadir Sanci insiste sur un geste fort à destination d'une jeunesse musulmane « qui parle l'allemand et non le turc, l'arabe ou le pakistanais » et qui a besoin d'affirmer les valeurs d'un islam d'Allemagne : « Avec ce lieu emblématique et symbolique, c’est la preuve que les musulmans et l’islam font partie de l'Allemagne. Cela donnera un autre signal à l’ensemble de la société qui y verra notre travail de prévention et notre lutte contre l'antisémitisme, la violence. »


Le nom du projet, « House of One », qui signifie « Maison de l’Unité », serait inspiré du discours de Martin Luther King lors de la réception du prix Nobel de la paix en 1964. Dans son allocution , le pasteur afro-américain évoque l’unique maison que forme le monde, maison au sein de laquelle les hommes et les femmes doivent apprendre à vivre ensemble : « Sooner or later all the people of the world will have to discover a way to live together in peace, and thereby transform this pending cosmic elegy into a creative psalm of brotherhood » [trad. « Tôt ou tard, tous les peuples du monde devront découvrir un moyen de vivre ensemble en paix et transformer ainsi cette élégie cosmique en suspens en un psaume créatif de fraternité »]. Roland Stolte explique : « La même année, peu de temps avant ce discours, Martin Luther King était également à Berlin-Est, non loin de Petriplatz, où la House of One est en cours de construction. Aujourd’hui nous lui rendons hommage en quelque sorte. » Il est hautement symbolique que ce lieu de culte inédit voit le jour à Berlin, une ville multiculturelle riche d’un passé marqué à la fois par l’intolérance, la violence et le fanatisme mais aussi par les enseignements des Lumières, la liberté et la résistance non violente. L’ancienne capitale du Troisième Reich est en passe de devenir l’épicentre de la paix. Érigé sur la Petriplatz, l’une des plus anciennes places de la capitale allemande, le bâtiment se dressera sur les vestiges de la première église de Berlin, l’église protestante de Petri (Saint Pierre) construite en 1230, endommagée pendant la Seconde Guerre mondiale puis détruite en 1964 par les autorités de l'ex-RDA. Palimpseste historique, la Petriplatz est un lieu symbolique fort pour rassembler les trois religions du Livre.

L’architecture : éloge de la complexité

En 2011, c’est le cabinet d’architecture berlinois Kuehn-Malvezzi qui a remporté l’appel à concours lancé aux architectes du monde entier, grâce à sa vision basée sur l’idée de rencontre, et non de mélange. Pour le trio berlinois, il s’agit d’articuler les différences entre chaque culte pour produire du dialogue et non de les fondre dans un lieu impersonnel. Le groupe d’architectes, épaulé dans sa démarche par Kadir Sanci, Gregor Hohberg et Andreas
Nachama, a ainsi imaginé un bâtiment « quatre-en-un » où se mêlent un temple rectangulaire, une synagogue hexagonale, une mosquée carrée et une salle de rencontre commune ouverte vers l'extérieur par de hautes fenêtres. Les trois espaces de prière ont exactement la même superficie et sont rassembléssous un dôme central. Lesfidèles y seront à la foisséparés, et en même tempsreliés par ce grand espace de réunion à travers lequel tout le monde doit passer pour se rendre dans l’un des lieux de culte.


Surnommée « churmosquagogue » (contraction de church, mosque et synagogue), la « House of One » sera un bâtiment purement naturel fait de millions d’épaisses briques de clinker. Ces briques jaunes ont pour but de se distinguer du rouge des briques utilisées dans tout Berlin et du gris du béton ou de l’acier des tours environnantes. « Il nous a paru important de présenter le bâtiment comme une entité singulière, sans symbole », explique l’un des architectes, Wilfried Kuehn. « Le matériau de construction est très commun – de la brique jaune, utilisée par la plupart des cultures – et, en même temps, le bâtiment se distingue dans un environnement urbain dominé par des lieux résidentiels et des tours de bureaux. » Il a fallu réunir environ 47 millions d’euros pour monter ce projet : plus de la moitié est financée par le gouvernement fédéral et la ville de Berlin, le reste par des dons privés et du financement
participatif. Sur le site de « House of One », tout le monde peut ainsi financer, pour dix euros, l’achat d’une brique. Depuisle lancement de la campagne en 2014, plusieurs milliers personnes ont fait des dons.

Hors les murs : un ambitieux projet de société

Si la « House of One » doit voir le jour en 2025, le projet universaliste de paix et de tolérance qu’elle défend se déploie dès à présent. Ainsi, la fondation « House of One » initie des évènements, des partenariats et des projetsscolaires dansle monde entier. « Nous envisageons déjà des événements communs : prières de paix multireligieuses, invitations mutuelles à des fêtes religieuses, visites d'écoles tri-religieuses ou encore des tables rondes » détaille Roland Stolte.

Le lancement du podcast « 3 Frauen, 3 Religionen, 1 Thema » [trad. « 3 femmes, 3 religions, 1 sujet »] s'inscrit également dans cette culture du dialogue interreligieux. Animé par Rébecca, une étudiante universitaire en études judaïques, Maïke, en formation pour devenir pasteure protestante, ainsi que Kübra, théologienne islamique, le podcast vise à une meilleure connaissance de chaque religion pour une meilleure entente. Au détour de débats et d’échanges d’expériences, les questions évoquées sont multiples : le rôle de la religion dans a vie quotidienne, ce qui fait bouger les jeunes juifs, chrétiens et musulmans, la manière de prier...


Le projet « House of One » inspire aussi d’autres communautés dans le monde. Trois projets partenaires se développent à Bangui en République centrafricaine, à Haïfa en Israël, et à Tbilissi en Géorgie. « Nous espérons apporter notre contribution à la paix et à la compréhension des mondes religieux » affirme Roland Stolte. Par exemple à Tbilissi, Malkhaz Songulashvili, l’évêque métropolitain de l’église évangélique baptiste et professeur de théologie comparée, a transformé son église en un bâtiment abritant des espaces de culte pour les trois confessions. Baptisée « cathédrale de la paix », le lieu abrite, en plus de la mosquée, de la synagogue et de l’église, un espace dédié au dialogue interconfessionnel ainsi qu’une bibliothèque interconfessionnelle qui accueille les enfants et les adultes. La « cathédrale de la paix » est le fruit d’une collaboration avec la « House of One » : c’est elle qui a fourni la Torah, apportée par le rabbin Golan Ben-Chorin, un rabbin réformé de Haïfa qui dirige la filiale israélienne de la « House of One », appelée le « Garden of One ». C’est un acte fort en Géorgie, où la communauté juive, implantée depuis 2600 ans, ne cesse de diminuer. Les vagues d’émigration vers Israël se succèdent depuis les années 1970, entrainant le déclin d’une communauté qui ne compte plus aujourd'hui que 3000 membres dans le pays, loin des 80 000 membres d’autrefois.

Ce projet s’inscrit aussi dans la continuité d’autres projets multireligieux comme l’Académie pour la Paix et le Développement, qui permet aux enfants chrétiens et musulmans de la capitale de se côtoyer et de partager leur quotidien... Des initiatives puissantes, d’autant plus nécessaires à l’heure où la Géorgie est témoin du conflit meurtrier qui déchire ses voisins, chrétiens arméniens et musulmans azerbaïdjanais, dans le Haut-Karabakh. « Je les amènerai sur ma montagne sainte et je les réjouirai dans ma maison de prière. Leurs holocaustes et leurs sacrifices seront agréés sur mon autel. Car ma maison sera appelée une maison de prière pour tous les peuples. » (Isaïe 56 :7) « House of One » est une incarnation de ces paroles du prophète Isaïe. Instrument de paix et d’unité, le projet porte déjà des fruits à Berlin et dans le monde et fait rayonner ce qu’il y a de plus beau et de plus universel au cœur des trois monothéismes, un trésor malheureusement trop souventocculté par les guerres de religion ou les tensions communautaires : la paix. Avec les fondateurs de « House of One », nous pouvons l’affirmer : « Heureux les artisans de paix » !