Les Frères Al-Kuwaity : Des Piliers Juifs au Cœur de la Musique et de la Culture Arabes

Les Frères Al-Kuwaity : Des Piliers Juifs au Cœur de la Musique et de la Culture Arabes

Dans la riche et complexe mosaïque de l'héritage musical arabe, rares sont les noms qui brillent avec autant d'éclat et de profondeur que ceux de Saleh et Daoud Al-Kuwaity. Ces deux frères, issus d'une famille juive établie au Koweït au début du XXe siècle, sont devenus des figures tutulaires, façonnant de manière indélébile la musique moderne d'Irak et des pays du Golfe.

De Koweït à Bagdad, l'Éclosion d'un Talent

Saleh (né en 1908) et Daoud (né en 1910) voient le jour au Koweït, au sein d'une famille dont les racines plongent à Bassora, en Irak. Dès leur plus tendre enfance, ils révèlent des aptitudes musicales hors du commun : Saleh excelle au violon, tandis que Daoud apprivoise l'oud avec maestria. Leurs dons ne tardent pas à capter l'attention de l'élite koweïtienne, mais c'est en Irak qu'ils trouvent le terreau idéal pour l'épanouissement de leur art. À la fin des années 1920, les frères s'installent à Bagdad, alors un foyer culturel bouillonnant. Ils y deviennent des acteurs majeurs de la scène musicale nationale naissante, participant à la création du premier orchestre de radio officiel d'Irak. Rapidement, ils s'imposent comme les compositeurs de référence pour les voix les plus prestigieuses du pays. De Nazem Al-Ghazali à Salima Pasha, une pléiade de légendes de la musique irakienne interprètent les mélodies cisées par les frères Al-Kuwaity. Leurs compositions, diffusées à travers tout le Moyen-Orient, deviennent l'emblème de l'âge d'or de la musique irakienne.

Innovateurs et Architectes de Liens Culturels

Au-delà de leur talent de musiciens, les frères Al-Kuwaity se distinguent comme de véritables pionniers. Saleh, en particulier, est largement salué pour avoir modernisé le maqam irakien, cet art musical complexe, en y intégrant des influences turques, perses et occidentales aux formes arabes classiques. Daoud, avec sa voix chaleureuse et son jeu d'oud d'une rare finesse, insuffle une âme et une profonde résonance émotionnelle à ces compositions. Leur rayonnement dépasse largement les frontières de l'Irak. Dans tout le Golfe, du Koweït à Bahreïn, leurs chansons intègrent le répertoire populaire. Ils incarnent des bâtisseurs de ponts culturels, des artistes juifs qui, par leur musique, contribuent à façonner l'identité arabe elle-même. Ce phénomène n'est pas un cas isolé. Dans l'Irak d'avant 1948, les Juifs occupent une place de premier plan dans de nombreuses sphères artistiques et culturelles. Durant les décennies 1930 et 1940, ils constituent la majorité des musiciens professionnels de Bagdad, officiant comme musiciens de cour, compositeurs et enseignants, profondément enracinés dans le tissu musical du monde arabe.

L'Ombre de l'Exil et l'Effacement

La montée en puissance du nationalisme arabe et les tensions liées au conflit israélo-arabe jettent une longue ombre sur les communautés juives du Moyen-Orient. En 1951, confrontés à une hostilité croissante, Saleh et Daoud émigrent en Israël, s'inscrivant dans le vaste exode des Juifs irakiens. Tragiquement, en Irak et dans les pays du Golfe, leurs noms commencent à s'estomper de la mémoire collective. Si leur musique continue de résonner, elle est souvent attribuée à des sources "anonymes" ou reléguée au statut de "folklore". En Israël, ils poursuivent leur œuvre de composition et se produisent dans des émissions de radio arabes, mais ne retrouvent jamais la célébrité qu'ils avaient connue en Irak. Pourtant, leur héritage artistique perdure. Leurs chansons – telles que Walla Ajabni Jamalak, Ya Damiti et Ala Drub Yahwy – conservent leur popularité à travers le monde arabe, transcendant les frontières, les croyances et les clivres politiques.

Renaissance et Juste Reconnaissance

Ces dernières années, un nouvel élan d'appréciation a permis de redécouvrir les frères Al-Kuwaity. À Tel Aviv, une rue porte désormais leur nom, un hommage vibrant à leur contribution. Leurs compositions sont étudiées dans les conservatoires de musique, rééditées dans des collections numériques et interprétées par les nouvelles générations de musiciens. Un ambassadeur particulièrement éloquent de cet héritage est Dudu Tassa, petit-fils de Daoud. Ce musicien de rock israélo-irakien a ressuscité la musique de ses aînés pour le public contemporain avec son groupe Dudu Tassa and the Kuwaitis. En fusionnant le rock avec les mélodies irakiennes traditionnelles, Tassa a porté l'héritage de son grand-père sur les scènes internationales, assurant notamment la première partie de Radiohead lors d'une tournée mondiale.

Un Patrimoine Partagé, un Langage Universel

L'histoire de Saleh et Daoud Al-Kuwaity nous rappelle avec force les liens profonds qui unissaient autrefois Juifs et Arabes au Moyen-Orient. La musique agissait comme un langage partagé, un espace culturel commun où l'identité, la créativité et l'expression s'épanouissaient bien au-delà des divisions religieuses ou politiques. Aujourd'hui, alors que nous mesurons l'impact durable de leur œuvre, il est essentiel de reconnaître le rôle plus vaste que les musiciens, écrivains et artistes juifs ont joué dans la construction de la culture arabe. Leurs voix, un temps réduites au silence, résonnent à nouveau, nous rappelant que l'héritage culturel s'enrichit de l'inclusion, de la diversité et du partage.

Sources :

Jewish Music Research Centre – Salah El Kuweiti:

https://jewish-music.huji.ac.il/en/content/salah-el-kuweiti

Music Before Shabbat – The Restored Masters of Iraqi Jewish Music: The Al-Kuwaity Brothers:

https://www.musicbeforeshabbat.com/mbs/mbs-with-the-restored-masters-of-iraqi-jewish-music-the-al-kuwaity-brothers/

World Jewish Congress – Fathers of Modern Iraqi Music:

https://www.worldjewishcongress.org/en/legacy-of-jews-in-MENA/fathers-of-modern-iraqi-music

Times of Israel – Dudu Tassa and the Kuwaitis (about the musical revival):

https://www.timesofisrael.com/israeli-rocker-dudu-tassa-revives-grandfathers-arabic-music-for-a-new-generation