Mathémaroc Des classes prépas à Polytechnique : les clés du soft power éducatif marocain
Dans Nous Autres, Eugène Zamiatine esquissait une société rigide, gouvernée par l’absolu mathématique, référence à peine voilée aux dérives du communisme naissant en Russie. Satire d’un monde où la norme lisse les courbes du vivant. Un siècle plus tard, la mathématique n’a en rien perdu de sa superbe. Mais sa force est déployée ailleurs et à bon escient — non plus dans les brumes idéologiques du nord-est de l’Europe, mais sur les crêtes d’Afrique du Nord.
Au XXIème siècle, Le Maroc est devenu une fabrique de super-matheux. Le 16 juin 2025, alors que les résultats d’admission aux grandes écoles françaises - toutes filières confondues - tombent, le royaume rugit : les jeunes Marocains s’illustrent encore une fois dans les concours d’excellence. Véritables “Lions de l’Atlas”, les étudiants du royaume s’imposent dans les bastions élitistes que sont Polytechnique, Centrale ou les Ponts. Cet exploit n’a rien d’anecdotique : il est le fruit de trois axiomes inébranlables : un écosystème éducatif structuré, une diplomatie académique dense et un investissement politique assumé dans les talents.
Une diaspora étudiante puissante et stratégique
Le chiffre a de quoi gonfler d’orgueil le corps professoral du royaume : 45 162 étudiants marocains étaient inscrits dans l’enseignement supérieur français en 2022–2023. Pour se situer, la France comptait cette année-là 2,94 millions d’étudiants, dont 412 000 (soit 14 %) venus de l’étranger. Ce contingent marocain représente donc 11 % des étudiants internationaux, soit un étudiant étranger sur sept. En cinq ans, cette population a progressé de 13 %, dépassant les effectifs algériens, chinois, italiens, sénégalais et tunisiens dans tous les classements.
Dans les écoles d’ingénieurs, cette tendance s’accentue : 21 % des étudiants internationaux sont marocains, loin devant les Chinois (9 %). À Polytechnique, bastion de l’excellence à la française, 29 étudiants marocains ont été admis en 2024 sur 140 places réservées aux profils internationaux. Dans les écoles de commerce, même constance : avec 8 058 étudiants, le Maroc se classe juste derrière la Chine, devançant l’Inde et l’Italie.
L’excellence marocaine : entre filière d’élite et refondation pédagogique
Les concours ne sont pas une roulette russe. Si ces jeunes sont sélectionnés dans des parcours de formation aussi compétitifs, c’est bien parce que le hasard ne fait pas partie de l’équation. Rabat a patiemment construit sa filière d’excellence : celle des classes préparatoires scientifiques. Le pays en compte aujourd’hui dix-neuf, toutes rattachées à des établissements publics, souventtrès sélectifs. Ces prépas — MP, PC, PSI, mais aussi BCPST ou MPI — forment un vivier reconnu par les grandes écoles françaises. L’exemple du lycée Lydex de Benguerir, situé dans la Cité verte Mohammed VI, est éloquent : onze de ses élèves ont intégré Polytechnique en 2021, soit davantage que certains lycées parisiens. Ce genre de performance n’est pas isolé : elle s’explique par une diplomatie académique proactive. Plus de 300 accords de coopération relient directement des universités et établissements des deux rives de la Méditerranée. Grâce à ces passerelles, les élèves marocains présentent les mêmes concours que leurs homologues français, avec un niveau qui force le respect.
Mais toute réussite repose sur un socle. Or, celui qu’incarnait l’école publique a longtemps vacillé. En 2023, le Maroc enregistrait un recul préoccupant dans le classement PISA (Programme for International Student Assessment), une évaluation triennale pilotée par l’OCDE qui mesure les compétences des élèves de 15 ans en compréhension de l’écrit, mathématiques et sciences dans plus de 80 pays. La réaction ne s’est pas fait attendre. Le gouvernement a décidé de rompre avec les réformes timides du passé, pour engager une refonte en profondeur. Sa boussole ? Une méthode éprouvée en Inde et approuvée en Afrique subsaharienne : Teaching at the Right Level (TARL). Développée par une ONG de Mumbai, cette approche repose sur une idée simple mais puissante : adapter l’enseignement au niveau réel des élèves, et non à leur âge théorique.
En deux mois d’expérimentation dans 600 écoles marocaines, les résultats sont sans appel : maîtrise multipliée par quatre en mathématiques, par trois en français, par deux en arabe. Cette opération est désormais appelée à être généralisée à l’échelle nationale, avec l’ambition de remettre à niveau des millions d’enfants en moins de quatre ans.
De l’université aux enseignants : quand l'État investit dans l’intelligence L’investissement national constant dans des institutions visionnaires contribue pleinement à cette ascension académique. L’Université Mohammed V de Rabat (UM5), vénérable doyenne née à l’aube de l’indépendance, s’est imposée comme la première université du pays. Avec ses 19 centres de recherche, 11 laboratoires et un centre de référence en mathématiques (CEREMAR), elle irrigue la production scientifique nationale et forme les piliers du savoir. À Benguerir, l’UM6P (Université Mohammed VI Polytechnique), fondée en 2013 par le groupe OCP, incarne une autre vision : celle de l’innovation tournée vers l’Afrique et le développement durable. Sa proximité avec les enjeux économiques, son ancrage local et ses ambitions internationales en font une véritable plateforme d’expérimentation éducative.
Le Maroc structure sa stratégie de recherche autour du PNARDI 2025–2028, un programme co-construit avec le ministère de l’Enseignement supérieur et l’OCP. Ce cadre vise à aligner la production scientifique sur les priorités nationales : durabilité, souveraineté énergétique, transition numérique. Mais au-delà des infrastructures, le gouvernement mise aussi sur le facteur humain.
En parallèle, il annonce une revalorisation historique du corps enseignant : une enveloppe de 9 milliards de dirhams (soit 821 millions d’euros) est allouée à une hausse des salaires de 30 à 40 %. Une reconnaissance attendue pour celles et ceux qui forment, chaque jour, la prochaine génération de cerveaux marocains.
Géométrie du pouvoir : ces figures inspirantes issues de l’X
Le rayonnement intellectuel du royaume débute sur les bancs de l’école. Puis, il se prolonge dans les trajectoires qu’empruntent ses anciens élèves. L’association marocaine des anciens de l’École Polytechnique compte aujourd’hui près de 300 membres, tous présents dans des sphères stratégiques de la haute fonction publique, de la finance ou des grandes entreprises.
Parmi eux : Mohamed Kabbaj, haut fonctionnaire; Ismail Douiri, directeur général du groupe Attijariwafa Bank; ou encore Driss Benhima, ex-PDG de Royal Air Maroc. Leurs itinéraires centrifuges procèdent tous du même point de départ : l’X. Ces figures éprouvent une conjecture dorénavant confirmée : le diplôme scientifique marocain est un tremplin vers le pouvoir, l’innovation ou la gouvernance. CQFD.
Sources :
Challenges : Le Maroc - cette fabrique de supermatheux
Le Monde : Le Maroc veut remettre à niveau ses élèves du public
Le 360 : Étudiants marocains à l'étranger - une forte présence dans les écoles d'ingénieurs
Parcours d'Étudiants : Les Marocains premiers dans la communauté estudiantine étrangère en France
Polytechnique (site officiel) : admission cycle ingénieur - concours d'admission
Wikipédia : Université Mohammed V de Rabat