Vers un Big 6 : L'heure du repositionnement stratégique pour le conseil dans le Golfe
La suspension des nouveaux contrats entre le Fonds d’investissement public saoudien (Public Investment Fund) et PwC jusqu’en février 2026, décidée en mars 2025, cristallise ce tournant. Derrière une réévaluation budgétaire liée au ralentissement de l’activité en 2024, se profile une volonté plus profonde : faire émerger une expertise enracinée dans les réalités régionales. À cet égard, la compréhension fine des dynamiques culturelles, institutionnelles et économiques devient un impératif. Comme l’a souligné Mohammed H. Al Qahtani, CEO de Saudi Arabia Holding Co, les méthodologies standardisées des grands cabinets occidentaux peinent à intégrer les subtilités locales, mettant en lumière l’écart croissant entre les modèles analytiques hérités du monde anglo-saxon (MECE, 7S, Cinq Forces de Porter) et les attentes opérationnelles des décideurs du Golfe.
Paradoxalement, alors que les marchés matures rationalisent leurs effectifs, la demande de conseil dans les pays du CCG devrait progresser de 11 % en 2025, pour franchir la barre des six milliards de dollars. Or, avec seulement 5 % des cabinets de conseil enregistrés en Arabie saoudite appartenant à des entités locales, le besoin de montée en puissance est manifeste.
Secteurs stratégiques : des moteurs de croissance différenciants
Identifier les secteurs porteurs constitue un préalable à toute structuration d’une offre de conseil durable. Le repositionnement géoéconomique global redistribue les cartes : alors que la consommation fléchit en Occident, elle affiche une vitalité remarquable dans les pays du Golfe. D’après le rapport Global Consumer Outlook 2025 d’AlixPartners, un tiers des consommateurs saoudiens prévoient d’augmenter leurs dépenses en restauration et en loisirs. Une jeunesse dynamique (18-34 ans) porte cette mutation en orientant ses arbitrages vers l’expérience et l’innovation.
Le tourisme illustre pleinement cette nouvelle donne. Une étude de Toluna prévoit un doublement des effectifs dans le secteur d’ici 2035. Roland Berger anticipe quant à lui une croissance annuelle moyenne de 7 % des nuitées entre 2019 et 2030. L’Arabie saoudite devrait en tirer un avantage compétitif décisif, avec un objectif de 112 millions de visiteurs en 2030, contre 50 millions en 2022. AlUla, objet de coopération diplomatique avec la France, préfigure la transformation du patrimoine en levier économique.
Cette dynamique est également à l’œuvre en Égypte, qui s’engage dans un repositionnement territorial majeur avec la création de la Nouvelle Capitale Administrative (NCA). Située à 45 km du Caire, cette ville nouvelle illustre la demande croissante en conseil urbain, financier et organisationnel à l’échelle MENA.
Capacités locales : structurer l’offre par l’innovation et la souveraineté technologique
Construire un écosystème local de conseil ne peut faire l’impasse sur la transformation numérique. Selon PwC, les pays du CCG auront besoin de 120 000 spécialistes en intelligence artificielle d’ici 2030, avec un potentiel de contribution à hauteur de 320 milliards de dollars au PIB régional. Les partenariats bilatéraux, notamment avec les États-Unis, historiquement impliqués dans la digitalisation du Golfe via IBM et Microsoft dès les années 1970-1980, permettent de capitaliser sur cet héritage technologique pour accélérer la formation locale.
L’ONG Pearl Initiative et la Société islamique pour le développement du secteur privé (SID) s’inscrivent dans cette perspective avec le lancement de tables rondes dédiées à l’autonomisation des FinTechs régionales. Lors de la session inaugurale intitulée "Créer des FinTechs de la région pour la région", Mohamed Al Tajer, fondateur de Taghyeer Consulting à Dubaï, a plaidé pour une adaptation rigoureuse des offres aux attentes des consommateurs du CCG.
Arabie saoudite : la locomotive régionale
Alors que les pays du Golfe se positionnent sur des segments d’avenir, l’Arabie saoudite semble en passe de s’imposer comme le principal hub du conseil régional. Les indicateurs macroéconomiques convergent : croissance anticipée à 5,3 % en 2025, hausse continue du PIB hors pétrole (+2,8 % au T3 2024), et montée en puissance des investissements dans les FinTechs. Le royaume vise une contribution directe de 3,6 milliards de dollars de ces entreprises au PIB d’ici 2030.
Surtout, l’État saoudien engage des actions structurelles : réformes réglementaires favorisant les firmes locales, dispositifs de transfert de savoir-faire entre cabinets internationaux et locaux, et développement de partenariats public-privé intégrant ces derniers dans les grands projets nationaux. Cette approche systémique pourrait bien redéfinir les règles du jeu dans le secteur du conseil au Moyen-Orient.
Conclusion : vers une souveraineté intellectuelle et opérationnelle
Ce que révèle la trajectoire des pays du Golfe, c’est moins une volonté de rupture qu’un besoin de rééquilibrage. Pour faire émerger un véritable Big 6, il ne suffit pas de reproduire les modèles existants. Il faut inventer un conseil à la hauteur des ambitions locales : plus enraciné, plus agile, et pleinement aligné sur les dynamiques économiques, sociales et culturelles de la région.
Sources :
Arab News - S&P Global: Saudi economy projected to grow 5.3% in 2025
Consultancy-me.com - Influx of tourists to GCC to drive hotels and workforce boom
Consultancy-me.com - UAE and KSA consumers re-purposing their spending habits
Mohammed H. Al Qahtani - Insights
Mostafa Ali - The Rise of Local Consulting Firms in Saudi Arabia: A Government-Backed Shift